Art. 77 (21 septembre 2006)

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TRAFIC DE DECHETS

La Côte d'Ivoire est touchée par une crise environnementale et sanitaire sans précédent : mi-août, un navire déverse 400 tonnes de déchets au large d'Abidjan, entraînant la mort de deux personnes et l'intoxication sérieuse de centaines d'autres. Le trafic des déchets encore une fois frappe un pays pauvre.

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1. Selon Greenpeace, 400 tonnes de déchets toxiques ont été déversés à Abidjan en Côte d'Ivoire dans l'environnement par le Probo Koala, navire russe battant pavillon panaméen et exploité par une société hollandaise. Pour l'association écologiste, il s'agit d'une catastrophe pour l'environnement mais aussi d'une catastrophe sanitaire pour la capitale économique de la Côte d'Ivoire. Deux fillettes sont mortes et plus de 1 500 personnes se sont déjà présentées dans des hôpitaux, souffrant de diarrhées, de problèmes respiratoires, de maux de tête et de douleurs thoraciques. Une véritable panique commence à s'installer dans la population. Le bateau, lui, a quitté le pays sans être inquiété, en direction de l'Estonie. Sous la pression de foules de manifestants qui criaient leur colère, le gouvernement ivoirien a été amené à démissionner.

2. La catastrophe d'Abidjan n'est pas la première qui illustre le mépris des groupes industriels occidentaux vis-à-vis des populations des pays du Tiers Monde.
Ainsi, en 1969, le trust américain Union Carbide avait choisi d'implanter une usine fabriquant du pesticide à Bhopal, en Inde. Dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984, l'explosion de cette usine a déclenché une des catastrophes industrielles les plus meurtrières de l'histoire. Le nuage toxique a en effet causé la mort de 16 000 à 30 000 personnes et a fait un demi-million de blessés ou intoxiqués. Plus de vingt ans après, le site n'est toujours pas dépollué, en revanche plusieurs centaines de personnes continuent à mourir chaque mois des suites de cette catastrophe.
Récemment le Clemenceau, ce porte-avions que l'armée française voulait faire désamianter en Inde avait remis le problème du trafic des déchets des pays industrialisés vers les pays du Tiers Monde à la Une de l'actualité. Certes, le gouvernement indien a refusé que ses ports accueillent le Clemenceau, qui a fait demi-tour et est rentré en France où aucun port ne veut le recevoir, mais combien d'autres navires bourrés d'amiante, de déchets toxiques, voire contaminés par des produits radioactifs viennent s'échouer chaque année sur les plages indiennes pour y être démantelés, sans aucune précaution pour la santé des travailleurs?

3. Le commerce international continue à se développer et des contrôles de plus en plus sévères au niveau national font augmenter les coûts du stockage des déchets toxiques dans les pays développés. Cela multiplie les occasions et les incitations économiques pour le transport illégal des déchets.
Ordinateurs, écrans, navires en fin de vie amiantés, huiles noires, hydrocarbures, matières chimiques... tout ce que les pays riches jettent atterrit souvent dans les eaux ou les décharges des pays pauvres, sous couvert d'utiliser l' «avantage compétitif» des pays du Tiers Monde, à savoir une main-d'oeuvre peu coûteuse et des réglementations souvent peu regardantes. L'exportation de déchets ­ dangereux ou non ­ est pourtant réglementée par la convention de Bâle. Entrée en vigueur en 1992, cette convention a certes freiné ces pratiques, sans pour autant les stopper.

4. Plus de polluants à éliminer signifie aussi plus de trafic illégal. Depuis 1997, l'Europe n'a plus la possibilité d'exporter des déchets dangereux vers les pays en développement. Mais, la Commission européenne l'avoue : la moitié des transports de déchets issus des ports européens sont illicites ! Même si l'Europe a la volonté, et les moyens, de renforcer cette législation à partir de janvier 2007, ce n'est pas le cas des autres Etats. En effet, les pays pauvres n'ont pas les capacités de gérer ces filières de traitement de déchets, hypertechniques et coûteuses.

5. L'affaire du Probo Koala n'est pas isolée. Quatre ou cinq cas comparables, soit de déversements, soit de tentatives, sont rapportés chaque année. Les flux mondiaux sont difficiles à quantifier : d'une part, les pays répugnent à déclarer leur production, d'autre part, le trafic est souvent illicite et effectué par le crime organisé. Ce qu'il rapporte se chiffre en milliards de dollars. Selon les données partielles collectées par le Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE), la quantité de déchets dangereux produits s'élevait à 108 millions de tonnes en 2001. Et la quantité de déchets exportés est passée de 2 millions de tonnes en 1993 à 8,5 millions de tonnes en 2001.
L'Afrique et les anciennes républiques soviétiques, dont les réglementations sont laxistes, servent le plus souvent de réceptacles aux substances dangereuses issues des industries (arsenic, mercure, plomb, fluor, amiante, solvants, etc.).

Plutôt que de pousser les pays en développement à utiliser des méthodes de production propres, les pays occidentaux leur demandent en fait de soutenir certaines des industries les plus toxiques du monde. La migration massive vers le Sud des ordures du Nord au nom de la globalisation et de la liberté de commerce doit être prise comme un crime contre l'environnement et les droits de l'homme.

© ENEFF 2006