Art. 73 (29 mai 2006)


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HOPITAUX : c'est grave docteur?

Urgentistes, anesthésistes, infirmières... les mouvements de grève se succèdent et l'été s'annonce chaud. Pourquoi ce malaise dans le personnel de la santé?

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1. Les manifestations se suivent et se ressemblent sous certains aspects : après les grèves des lycéens et des étudiants et les cortèges pour demander l'abolition du CPE, c'est au tour du personnel hospitalier de tenter de se faire entendre. Eux aussi se plaignent de leurs conditions de travail, surtout de trop longues heures de travail et de gardes, et de restrictions de budget. En plus, l'annonce de nouvelles mesures d'économie n'est pas rassurante pour ceux qui déjà vivent souvent dans des situations précaires.
L'ex-Ministre de la Santé, M. Claude Evin, affirme qu'il manque à la France, 1,5 milliard d'euros pour que les hôpitaux publics puissent accomplir leurs missions en 2006 et qu'il est urgent de trouver des solutions.

2. Un rapport du Conseil national de la Chirurgie chargé d’évaluer la situation des soins chirurgicaux en France tire la conclusion suivante : la qualité des soins et même la sécurité des patients sont en péril dans les petites structures hospitalières. Il faut donc supprimer les services hospitaliers qui réalisent moins de 2000 actes opératoires par an. Ce sont ainsi 113 structures qui sont menacées de fermeture. Selon le rapport, si les chirurgiens n'exercent pas suffisamment souvent, ils risquent de perdre leur savoir-faire. D'autre part, les patients auraient tendance à se rendre dans les hôpitaux plus importants des grandes villes pour les actes opératoires plus lourds. Le rapport rappelle qu'il n'est pas question de fermer l'hôpital proprement dit, mais seulement les services de chirurgie qui présenteraient des conditions de sécurité inadéquates. Le rapport préconisait notamment de convertir alors l’activité de ces établissements vers plus de proximité (urgences, imagerie médicale, consultations spécialisées, suivi post-opératoire…)

3. La crise pourtant ne date pas d'hier. Rappelons qu'en 2003, lors de la canicule, les urgentistes avaient déjà tiré la sonnette d'alarme. Ils n'étaient pas assez nombreux pour faire face à l'entrée en masse des malades dans les services d'urgence. A l'origine de cette pénurie d'effectifs on trouve plusieurs facteurs.
La détermination du numerus clausus (nombre de postes ouverts) instauré en 1971 à l'entrée de la deuxième année en médecine a répondu le plus souvent à des préoccupations de court terme. Il a connu une évolution erratique dans le temps, sans lien avec la démographie du pays, passant de 8 588 en 1971, à 3 500 en 1993, soit une baisse de 59%, avant de remonter à la fin des années 1990 pour atteindre
6 200 en 2005, soit une hausse de 77%". On s'est donc retrouvé avec un nombre insuffisant de jeunes médecins pour faire face aux besoins de santé de plus en plus lourds, d'une population vieillissante.
La semaine des 35 heures était censée créer des emplois. Depuis 2001, les organisations syndicales estiment que le nombre de postes créés dans le cadre des 35 heures correspond  à la moitié des  besoins réels. Par exemple, au CHU (Centre Hospitalier Universitaire) de Nantes, les 35 heures auraient dû générer la création de plus de 1000 postes… 280 postes ont en réalité été créés ! 

4. La France compte 40 000 médecins hospitaliers, dont environ 4 500 urgentistes. Le secteur de la chirurgie est particulèrement menacé par la pénurie de spécialistes. En effet, la profession de chirurgien ne dispose plus de l’aura dont elle bénéficiait (les étudiants en médecine auraient même plutôt tendance à fuir cette spécialisation longue et incertaine). On se demande même qui nous opérera dans dix ans! La raison de cette situation? La poursuite sans fin de l’augmentation du montant des primes d’assurance de responsabilité civile. De plus en plus souvent, des médecins, surtout des chirurgiens sont attaqués en justice à la suite d'un acte médical malheureux entraînant la mort ou l'invalidité du patient. En outre, dans les dix ans à venir 50% des chirurgiens prendront leur retraite et ne seront pas remplacés, selon l’Union des Chirurgiens de France. Pour manifester leur mécontentement, les chirurgiens ont prévu le 24 juillet prochain une journée "France sans bloc opératoire".

5. Comme les facultés de médecine en France ne forment pas un nombre suffisant de médecins et d'infirmiers, la France se voit contrainte de les faire venir de l'étranger. Près de 7 000 viennent d'un pays hors Union européenne, la moitié d'entre eux sont originaires d'Afrique, et leurs diplômes ne sont pas reconnus au même titre que les diplômes européens. Ils ne sont pas payés au même salaire et font souvent plus d'heures dans des conditions de précarité (leur contrat est renouvelable tous les ans) qui ne leur permettent pas vraiment de s'installer en France et de poursuivre leur carrière. Pourtant, si les hôpitaux continuent à fonctionner, c'est bien grâce à eux, car si le numerus clausus a été relevé récemment de 7 200 à 8 000, il faudra attendre dix ans avant que les jeunes étudiants terminent les longues études de la chirurgie.
Alors, si vous devez être hospitalisé soyez indulgent si votre infirmière ne maîtrise pas parfaitement le français! Et surtout, reportez toute opération non urgente à l'automne, car l'été s'annonce chaud, du moins pour le personnel restreint qui s'occupera des malades dans les hôpitaux.

 

© ENEFF 2006